La différence

      Il y a quelques semaines, j'ai fait un contrat de maquillage, pour une association offrant du soutien à des familles vivant avec le spectre de l'autisme. J'adore ce genre de contrats, la douceur, l'écoute et la bienveillance que cela demande. 

     C'est un moment qui m'a particulièrement touchée. Un jeune magicien, vraiment doué dans ses interactions avec le public, nous a fait un spectacle. Un grand gaillard de 21 ans, vivant avec l'autisme. Ainsi qu'une jeune fille, elle aussi autiste, à la voix impressionnante, qui nous a chanté 3 chansons. Vous savez, dans ce genre de fêtes, on a droit à toutes sortes de qualité de prestations. Mais là, c'était magique, et super professionnel. 

     Je dirais que ce qui a le plus touché mon coeur cette journée-là, c'est de voir tout l'amour et la bienveillance dont ces enfants neurodivergeants étaient entourés, de la part de tous les adultes présents, et des membres de leurs familles, frères et soeurs. Être accompagné dans sa différence, ça fait toute une différence! 

    Sur le chemin du retour, je suis devenue un peu émotive. Je me suis mise à penser à l'intolérance face à la différence, qui est tellement présente. La différence qui ne se voit pas du premier coup d'oeil.Face à la neurodivergence, l'hypersensibilité, les douleurs, la fatigue, l'anxiété chronique, la dépression, et bien d'autres choses... 

    J'ai remarqué, en étant maquilleuse, que la plupart des gens ne voient pas la réalité de l'autre mais regardent à partir de leurs propres repères. Par exemple, quand je maquille un enfant, un parent enthousiaste qui lui demande de sourire, ou qui vient se mettre entre l'enfant et moi pour prendre la photo. Ça n'est pas mal intentionné, mais ça complexifie pas mal mon travail. Avec l'expérience, j'ai appris à le nommer très gentiment aux parents. Je comprends qu'ils sont contents que leur enfant vive cette expérience et qu'ils ont envie de garder des souvenirs. Et je constate que, lorsque je leur explique, ils respectent systématiquement ma bulle, et mon besoin que l'enfant reste le plus possible immobile, pour les quelques minutes nécessaires. 

    Par contre, dans des cas de différences, je vois que l'automatisme du jugement et de l'impatience, sont très souvent activés. Il y a un genre de norme invisible qui nous fait croire que tout le monde devrait réagir de la même façon et que, si ça n'est pas le cas, c'est dérangeant. 

    Je me demande souvent qu'elle est ma tolérance face à la différence. Parce que je vis avec ça. Depuis toujours. Étant hypersensible et neurodivergente moi-même. Je vis également avec une maladie chronique qui, bien souvent, me rend moins performante et tolérante au stress que la moyenne des gens. 

    J'ai pris conscience, il n'y a pas si longtemps, que toute ma vie, j'ai cherché à m'adapter à cette norme invisible pour "être comme tout le monde". Et bien sûr, je n'ai jamais réussi. Ma fille vit avec l'autisme également. J'ai été tellement bien entraînée à penser qu'on devait tous faire des efforts pour se conformer, que j'ai pris conscience de sa différence seulement quand elle avait 13 ans. Différence confirmée par un diagnostic quelques mois plus tard. Celui-ci a fait une très grande différence par la suite dans sa vie, et celle de toute notre famille. Plus d'acceptation. Des apprentissages un peu différents. De la douceur et un rythme approprié. 

    En poussant ma réflexion, après mon beau contrat de l'autre jour, je me suis demandée comment aurait été ma vie si j'avais été accompagnée pour mieux vivre avec ma différence à moi. Bien sûr, je suis complètement consciente que mes parents ont vraiment fait de leur mieux et que, durant mon enfance, l'hypersensibilité et la douance n'était pas des choses très connues. Simplement par curiosité, j'ai eu envie de m'imaginer comment je me serais déployée si mes différences avaient été prises en considération et accueillies, pas comme un problème, mais simplement comme une réalité. 

    Je crois sincèrement que je me serais sentie plus en sécurité dans ce monde. Et probablement, j'aurais appris à m'accepter et à m'aimer vraiment bien plus tôt dans ma vie. J'aurais assurément fait des choix différents et vécu des difficultés beaucoup moins grandes. 

    Je suis heureuse de pouvoir faire une toute petite différence quand je maquille ces enfants. C'est souvent un très grand défi pour eux de s'approcher et d'être touchés par une inconnue. Je ne force jamais rien. Je leur montre ce que je vais faire, parfois sur le bras du parent, ou sur mon bras à moi. Je suis tellement touchée quand ils viennent avec courage et fierté s'assoir sur ma chaise, et repartent avec des "Wow" très sonores! Je me dis que j'ai fait une petite contribution pour qu'ils se sentent bien dans ce monde. Et c'est l'accumulation d'une multitude de petites contributions similaires qui font une grande différence dans leurs vies. Je trouve ça beau. Et utile. 

    J'essaie de me rappeler de ça dans mon quotidien. Quand je croise des gens avec des comportements qui me heurtent d'une manière ou d'une autre. Je suis consciente que je ne connais pas leur réalité intérieure. Je le fais pour l'autre, et pour ma paix à moi. En général, ça donne de très bons résultats. 

Au fond, ne sommes-nous pas tous différents? 
Pourrions-nous faire preuve d'un peu plus d'empathie, aujourd'hui?



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